lundi 19 mars 2007

La prophétie

Je regarde tourner depuis un moment le mot prophétie. Oui chez moi les mots tournent dans ma tête comme des oiseaux noirs, des corneilles ou des corbeaux qui planent inquiétants ou tranquilles selon le temps. Prophétie. C’est un joli mot. Ce tie qui se prononce scie est en soi admirable. Mais au-delà de la forme, le sens du mot me captive. C’est un mot avec de grandes ailes qui fait de l’ombre aux rayons du soleil. Prophétie. Le prophète. Le doigt de Dieu, d’un dieu, de Lui. Son doigt à Lui. Quand je pense prophète je pense à une sorte de mission impossible – oui le feuilleton – avec un homme en tunique blanche submergé de lumière et une voix sépulcrale qui surgit de derrière les nuages pour tonner : votre mission si vous l’acceptez … et là cochez la case qui vous sied. De répandre la bonne parole. Attention c’est la mission la plus souvent choisie, et donc la plus dure à mener. De se battre contre la misère du monde. D’explorer le sens de la vie. Un prophète est un homme, une femme si vous voulez, disons un homme avec une grande hache et une femme avec une petite fourchette, à qui un jour on confie une mission, le on étant complètement indéfini, une mission lui tombe dessous donc sans trop savoir comment ni pourquoi mais c’est comme ça, c’est trop lourd pour le prophète, c’est trop dur pour lui tout seul mais c’est sa mission et il n’a pas d’autres choix que d’accepter. Est-ce que mon futur patron est un prophète ? Evidemment que oui. Après est-ce que mon patron est Deleuzien vous allez me dire c’est une obsession. Je signale ici Jean-Pierre que depuis tout ce temps où je regardais les mots voler au dessus de ma tête j’ai tout de même appris que Deleuze n’est pas du tout Coffiste, il a horreur de manger, il répond à l’objection en disant que manger seul est d’une immense tristesse, dans le repas c’est la compagnie que l’on aime mais pas l’acte de manger et c’est vrai et il a raison et à N comme nourriture dit dans le M comme maladie il a fait l’apologie de l’abat, la cervelle, la langue et je ne sais plus. Pas le foie. Je ne sais plus. Fermons cette parenthèse. Donc, disais-je, mon patron est un prophète. Et moi en suis-je une ? Je n’en sais rien mais j’aimerais bien. Je n’ai pas vu la lumière, je n’ai pas de tunique blanche. Mais j’ai entendu une voix. Bon d’accord cette voix c’est la mienne et elle n’est pas sépulcrale mais plutôt douce n’empêche je l’ai entendu. Un jour alors qu’une fois de plus je regardais les mots voler en devinant les formes composées comme les nuages dans le ciel qui se transforment en dragon ou en théière, ce jour-là les mains perdues dans la pâte sablée, une voix – ma voix – est sortie de nulle part et m’a parlée : Votre mission si vous l’acceptez – je me suis vouvoyée pour le côté solennel même si on a, moi et ma voix, élevés les moutons ensemble ça fait quand même plus chic – votre mission donc arrête de m’interrompre tout le temps est de répandre l’amour à chacun des repas. Votre arme : marmiton.org. Votre force : le courage. Votre don : la magie des aliments mélangés. Allez zou plus vite que ça on s’y met. Ok. Très bien. D’accord. Je mets en place une petite stratégie. Mangez bon les enfants c’est important. La guerre aux plats tout prêts est entamée. Non mon chéri c’est le civet aux lentilles et sa panoplie de E infâmes sous vide ou moi. Fais ton choix. Dans les salades je coupe en cubes en rondelles en bâtonnets parce que la forme compte pour autant que le goût. Fraîche la salade je feins de m’évanouir quand une sous plastique s’est malencontreusement glissée dans le bac à légumes du frigo. Je veux que le repas soit une fête et pas une corvée. Je veux entendre les hum et voir les petites mains encore se servir. Là les mini-missions sont accomplies. Là je sens mes gaillards agaillardis. Là je protège et tout doucement je prophétise. Que votre pain quotidien soit toujours source de chaleur. De douceur. Que vos pieds sous la table y demeurent le temps du repos de vos guerres. Que vous sachiez manger comme vous apprendrez à jouir.

Parfois Jean-Pierre c’est trop dur. La mission est telle que sa démesure me consterne. Je sens que le chantier est gigantesque. Je me sens toute petite. Alors que vous, vous êtes un prophète, un vrai pas un bébé prophète comme moi. Je veux travailler avec vous pour être votre disciple. Me sentir épaulée. Me redonner courage quand je me remets à regarder les mots voler. Que vous me tiriez de cette contemplation pour m’enjoindre à continuer. A avancer. Allez il y a tellement à dire à faire. Parlez-nous AnneSophie de la protection. De marmiton. De vos petits gloutons. Des plats préparés. Des plats préférés. De l’amour qu’on y met dedans. De la grande cuisine douze étoiles ah le luxe tout ce que je déteste. Parlez-nous des femmes et de madame Pic. Des articles sur la peur de manger complètement débiles. De la peur de la ligne. Du rapport à la nourriture. Tout ce qui nous nourrit nous rend plus fort. Parlez-nous AnneSophie faites-vous prophète et philosophe. Prophétie et philosophie sont les mamelles du festin.

Sous votre aile à l’ombre de vos prophéties Jean-Pierre je serai à l’abri.

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